«Le dialogue est la clé de la coexistence, la compréhension et l'entente»

Publié le par Foire2Fès

Le Festival de Fès des musiques sacrées du monde incarne, depuis sa création en 1994, la volonté d'instaurer le Festival de la musique sacrée de Fèsdialogue et le respect mutuel entre les civilisations et de préserver la diversité des personnes et des cultures.

Le Matin : Vous venez de recevoir, dernièrement, un hommage du Centre marocain interdisciplinaire des études stratégiques et internationales en collaboration avec la Fondation Esprit de Fès et d'autres partenaires. Le considérez-vous comme le couronnement d'une belle carrière ?

Mohamed Kabbaj :
Oui en effet. C'est une pratique qui commence à être institutionnalisée. Des hommages furent ainsi rendus à Abdelhadi Tazi et Abbas Jirari. D'autres seront rendus à Othmane Benjelloun, le 4 juin prochain. Au début, j'avais dit non au Pr. Abdelhak Azzouzi qui est le concepteur de ces hommages. Je partais du principe que ce que nous avons accompli au service du Trône et de notre pays est dans la pure logique des choses. Chaque Marocain doit donner le meilleur de lui-même pour servir sa Nation. Mais à voir de près, je m'étais rendu compte que ces cérémonies d'hommage ne touchent pas une personne déterminée, mais toute une génération qui s'est consacrée au service du Maroc avec une grande persévérance et une grande ténacité profondément liée à ses convictions et à ses valeurs. Ainsi se succèdent les gloires et les fonctions, qui ne vivent que l'espace des mythes et des passions, et seules restent les traces de l'amour et des actions, car elles n'ont pas d'âge.

En initiant le Festival des musiques sacrées, auriez-vous pensé qu'il prendrait l'ampleur et la place qu'il occupe, actuellement, dans l'univers artistique aussi bien marocain qu'étranger ?

Oui, puisque le Festival de Fès des musiques sacrées du monde incarne depuis sa création, en 1994, la volonté d'instaurer le dialogue et le respect mutuel entre les civilisations ainsi que la préservation de la diversité des personnes et des cultures. D'ailleurs, le Festival a été créé en pleine effervescence de la première guerre du Golfe. La diversité culturelle est une richesse extraordinaire qui donne goût à l'existence humaine. Elle constitue le patrimoine commun de l'humanité et doit à toute force être protégée. Le dialogue est essentiel à la cohésion et à l'unité du sort humain. C'est la clé de la coexistence, la compréhension, l'entente, la réconciliation et la paix durable. Le Festival de Fès des musiques sacrées est une porte ouverte sur les civilisations et les cultures à travers des traditions musicales sacrées. Au demeurant, les Rencontres de Fès sont un complément intellectuel aux élans du cœur et aux élévations de l'esprit que provoquent, soir après soir, les grands concerts programmés à Bab Makina et ceux de musique de chambre qui ont lieu au musée Batha. Ce n'est, d'ailleurs, pas un hasard que l'ONU ait choisi le Festival de Fès parmi les grands évènements qui assurent la paix et la sécurité à travers le monde, et ce n'est pas un hasard que le Festival a obtenu plusieurs Prix internationaux dont le Prix Fondation Ousseimi de la Tolérance en 2006 et le Prix Méditerranée en 2009.

Malgré l'éclatante réussite du Festival, vous créez, quelques années plus tard, en marge du FMSF, un autre festival dans la ville qui ne possède aucune connotation spirituelle. Est-ce uniquement pour satisfaire le large public de Fès qui n'apprécie pas la musique sacrée ou est-ce pour d'autres raisons ? N'y avait-il pas d'autres solutions pour conserver le cachet du FMSF comme, par exemple, celle de créer un autre festival, dans une autre période et avec un autre thème pour éviter ce mélange du sacré avec d'autres genres musicaux ?

Au contraire, il y a dans chaque musique ses penchants spirituels. Vous savez, nous évoluons dans un univers régi par la mondialisation et marqué par une interdépendance accrue. La rencontre entre les peuples et les différentes cultures est donc inéluctable. Nous avons ainsi opté pour la musique qui, pour paraphraser le célèbre poète indien et lauréat du prix Nobel, Rabin-dranath Tagore, remplit l'infini entre deux âmes. Depuis seize ans, des groupes de musiciens des quatre coins du monde viennent au Festival de Fès pour mettre l'accent sur la réalité et sur la possibilité de voir les humains vivre dans la fraternité et la paix. Par la fusion des traditions musicales, les musiciens cherchent à rendre gloire au seul Dieu auquel nous croyons tous et qui fait de nous des frères et des sœurs. Depuis 1994, le Festival offre à l'humanité des occasions mémorables… Nous nous libérons des stéréotypes brumeux et des métaphores non achevées, nous entrons dans l'univers des différents chants sacrés sans franchir les frontières de notre ville. Nous nous abandonnons à cette occasion exceptionnelle et précieuse qui est de voir, d'entendre et de goûter aux saveurs de la culture mondiale à travers le dialogue intime échangé entre l'artiste et son public… C'est, en effet, cet échange direct et spirituel entre l'artiste et le public qui entonne à chaque édition la renaissance du Maroc, le perpétuel renouveau de cultures ardentes, d'une civilisation tournée vers l'avenir sans rien omettre de son prestigieux et grand héritage. Il ne faut pas oublier dans ce contexte que le Festival de Fès des musiques sacrées du monde est complété par les Rencontres où débattent de grands et nobles esprits venus de tous les pays. Le matin, sous l'immémorial chêne du musée Batha, tandis que les pensées et les paroles s'élèvent entre ses branches, qui donc peut jurer n'avoir pas cru apercevoir, dans l'éclat du soleil, les chères ombres de Maïmonide, d'Ibn Khaldoun ou d'Averroès ? Comme si des temps les plus reculés, à nos jours, se formait, ainsi, dans l'éblouissement de ces matinées, une chaîne sacrée… Le Festival est aussi précédé par le Forum annuel sur l'Union pour la Méditerranée qui réunit tous les Etats membres pour débattre des thématiques qui intéressent l'avenir des deux rives de la Méditerranée.

Avez-vous tout mis en œuvre pour faire adhérer la population de Fès à ce genre de musique avant d'opter pour d'autres styles ?

Bien sûr. Je parlerai plutôt de la population marocaine voire de la population mondiale. Le Festival est, aujourd'hui, un patrimoine pour l'humanité entière. Tout le monde y est associé après seize années d'émerveillement, d'enchantement, après seize années de recherches mystiques, de chants, de rythmes au service du sacré, après seize années sur les routes de pèlerins jaloux de leur héritage traditionnel, de pèlerins veilleurs du présent et bâtisseurs du futur. Fès est devenue ainsi le rendez-vous du donner et du recevoir, le lieu où cohabitent tous les imaginaires, tous les rêves, tous les possibles. Fès, la fabrique du futur et qui tient en même temps éveillée, comme jamais, la flamme du passé car c'est bien le passé qui donne ses lettres de créance au présent. Fès par son Festival des musiques sacrées du monde entonne à chaque édition la renaissance du Maroc, le perpétuel renouveau de cultures ardentes, d'une civilisation tournée vers l'avenir.

En lançant la Fondation Esprit de Fès, qui réalise plusieurs activités tout au long de l'année, quels messages voulez-vous véhiculer ?

De tout temps, le Maroc a été un espace de brassage fécond et harmonieux des cultures. Il a su forger son identité sur les fortes valeurs de tolérance, d'ouverture et de respect de la différence. C'est une Nation riche de sa pluralité qui a su résister aux vertiges de l'exclusion culturelle et de la rupture spirituelle. Nul ne peut contester cette vocation séculaire du Maroc. L'ouverture sur l'autre est plus qu'une devise commerciale ou touristique. C'est une réalité incontestable dont s'enorgueillit notre pays, le Maroc. A l'image du Royaume, la ville de Fès, haut lieu du rayonnement scientifique et spirituel, première ville arabe et musulmane, fut le creuset dans lequel diverses composantes culturelles amazighe, arabo-islamique, juive, andalouse, afro-sahraouie, se sont croisées. Depuis sa création en 808, la ville de Fès a hébergé de grands personnages historiques ayant marqué l'humanité tout entière; des hommes musulmans, chrétiens ou juifs. Je citerai à titre d'exemple Maïmonide, le grand réformateur du judaïsme, Ibn Khaldoun, le célèbre historien, philosophe et homme politique musulman, Ahmed Baba de Tambouctou, alem, auteur de l'histoire du Soudan, le Pape Sylvestre II, Averroès, le philosophe, médecin, juriste et théologien islamique … et la liste est longue. Ainsi, et comme l'a si bien présentée Jorge Sampaio, Haut représentant des Nations unies pour l'Alliance des civilisations, la ville de Fès, de par son legs millénaire, fait du croisement de cultures, d'influences, de traditions, de racines et d'identités, un vrai creuset des composantes de l'Alliance des civilisations.
Tels sont les motivations qui ont concouru à la création du Festival de Fès des musiques sacrées du monde au début des années 90 du siècle dernier, surtout lorsque la première guerre du Golfe a ouvert une nouvelle page dans les relations internationales. Celle où il devenait logique d'insister sur les besoins d'altérité, du dialogue interculturel et de l'Alliance des civilisations. D'une culture à une autre, les points de vue sont souvent différents. Les opinions peuvent diverger, de même que les principes et les valeurs. Le dialogue traite de ces différences et permet de comprendre et d'apprendre de ceux qui ne voient pas le monde de la même façon que soi. Lorsque dialogue il y a, c'est une interaction qui naît, un échange instructif, enrichissant qui ouvre l'esprit et encourage le partage des idées dans le respect d'autrui. Cet échange est un moyen d'explorer les différents processus de pensées par lesquels on perçoit et on comprend les choses, d'élargir sa vision du monde et d'approfondir parallèlement la connaissance de soi-même. D'où la création de la Fondation Esprit de Fès pour cristalliser tous ces besoins d'altérité et de dialogue. C'est le message que nous avons transmis, que nous transmettons et que nous continuerons à transmettre.

Que traduit concrètement pour vous le thème de «Voyage initiatique» choisi pour cette 16e édition ?

Le voyage initiatique conjugue la pluralité, les échanges, la synthèse dans l'unité de son creuset. C'est pourquoi il y a toujours moyen de désenclaver les idiomes et de les remettre dans la circulation. Cette 16e édition présentera un programme illustrant, comme chaque année, la volonté de célébrer les cultures sacrées du monde au travers de leur musique, mais également lors de débats et colloques.
Le Festival de Fès des musiques sacrées du monde tentera précisément de mettre en valeur, artistiquement, la confrontation d'un héritage traditionnel et universel face à la mondialisation culturelle. Ce festival est conçu telle une traversée d'océans et de continents, afin de découvrir les grandes traditions et civilisations de chacun.

Un homme lié à ses valeurs
Tout au long de son parcours professionnel, Mohemed Kabbaj s'est avéré un homme rigoureux et compétent, ayant accompli ses différentes missions avec persévérance et ténacité, se consacrant entièrement au service de son pays, le Maroc. Lauréat de l'Ecole Polytechnique de Paris, de celle des Ponts et Chaussées, puis diplômé d'études approfondies en économétrie à la Sorbonne, Mohamed Kabbaj a rempli plusieurs postes de responsabilité, notamment celui de ministre de l'Equipement en 1984, ensuite des Travaux publics, de la Formation professionnelle et de la Formation des cadres et bien d'autres. D'autres fonctions, aussi importantes, ont pris place dans sa vie professionnelle qui fut rythmée, également, par des détentions de Prix et de décorations du Maroc et d'ailleurs. En parallèle à cela, Mohamed Kabbaj a mené d'autres activités en tant que membre du Bureau politique de l'Union Constitutionnelle, président de l'Association Fès-Saiss, puis président fondateur du Festival des musiques sacrées.


Source : le matin
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